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LISULF

Science et Francophonie

janvier 2003 No 81

 "L'actualité, c'est nous"

Académies des sciences

en crise

Suite quinte.

Notre colloque 2002.

Brigitte Schroeder-Gudehus.

Science et Francophonie paraît quatre fois par année sous la responsabilité de la LISULF,

Ligue internationale des scientifiques pour l’usage de la langue française.

Éditions PUM 2002

1200, rue Latour Saint-Laurent (Québec ) H4L 4S4

1 514 747 2308 c3410@er.uqam.ca Notre site : www.lisulf.qc.ca Le rédacteur en chef : Pierre Demers Dépôt légal BNQ, BNC; France, Belgique. 4e trimestre 2002 INSN.0825.9879

Bureau du Conseil : Venant Cauchy, Pierre Charlebois, Gabrielle Cloutier, Louis de Kinder, secrétaire-trésorier, Pierre Demers, président, Alice Derome, Pierre Lefebvre, Christian Pilote, René-Marcel Sauvé. Paul Rémillard, trésorier sortant

Adresse de la LISULF en France:

LISULF a/s Prof. Alain Kreisler, Alain.Kreisler@supelec.fr

147, rue de Silly, 92100 Boulogne, France 33 1 48 25 86 05

Adresse pour tous pays : c3410@er.uqam.ca

LISULF, 1200, rue Latour, Saint-Laurent H4L 4S4 (Québec)

Ce numéro, daté de janvier 2003, paraît en juillet 2003.

Reproduction permise avec mention de l'origine.



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Science et Francophonie No 81

Table des matières

Bureau du Conseil.............................................................................1

Avis. Index décennal supprimé...........................................................2

Éditorial. À propos du colloque du 26 octobre 2002.

Pierre Demers...................................................................................3

Réunion du conseil de la LISULF du 26 octobre 2002

Louis de Kinder, secrétaire................................................................4

Assemblée générale 2002, 2e partie et colloque sur un projet d'Académie québécoise des sciences

Louis de Kinder................................................................................4

Le Québec a-t'il besoin d'une Académie des sciences? Quelques réserves

Brigitte Schroeder-Gudehus..................................................... .......7

Abraham Lincoln et les National Academies

Pierre Demers.................................................................................14

Quelques Prix Nobel scientifiques français

Pierre Demers................................................................................. 17

Une académie des sciences

Louis de Kinder............................................................................... 20

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Cotisation 2003, $ Can et Euros

Merci de bien vouloir verser votre cotisation LISULF 2003 : 25$ Can ou 25 Euros. Étudiant 10 $ Can ou 10 Euros

Entité morale Membre corporatif 200 $ Can ou 200 Euros.

Un reçu officiel vous est adressé.

Adressez à 1200, Latour, Saint-Laurent (Québec) H4L 4S4

Paiements $ Can :

à l'ordre de LISULF, payable au pair à Montréal.

Paiements Euros :

à l'ordre de LISULF, payable au pair à Paris.

Avis. Le projet d'un index décennal annoncé pour un Numéro 80 bis est supprimé.

Éditorial. À propos du colloque du 26 octobre 2002.

Pierre Demers

Le colloque du 26 octobre 2002 sur l'opporunité de créer une Académie québécoise des sciences a été fort animé. La plupart des remarques présentées de vive voix ont confirmé des écrits parus dans les numéros 73 et suivants de S. F. : ceux de Pierre Gendron, Yves Gingras, Gordon Lefebvre, Camille Sandorfy et Pierre Demers. Yves Gingras, archiviste de l'ACFAS et naturellement porteur des opinions de cette association, a paru un peu moins critique du projet que précédemment. L'exposé de Brigitte Schroeder-Gudehus suscitait beucoup d'attentes. Basé sur une connaissance considérable de l'histoire des sciences, il contenait des réserves importantes à connaître. Son texte, qu'elle nous a obligeamment fait parvenir par courriel, est reproduit intégralement ci-dessous.

Nous souhaitions la participation de plusieurs personnalités qui ne sont pas venues, entre autres Claude G. Charron, Pirre de Bellefeuille, Gilles Fontaine, Germain Godbout, Denis Monière, Pierre Noreau, Guy Rocher, Camille Limoges. Ce dernier, sous-ministre sortant, a décliné notre invitation pour cause de réserve.

Agissant à la fois comme président de séance et comme participant, j'ai restreint au minimum mes remarques sur place. J'en ai quelques unes à présenter sur le texte de Mme Schroeder. Certains aspects de son texte suscitent l'étonnement. Elle ne fait pas mention de la langue française; est-il vrai, comme elle l'affirme, qu'il n'y eut aucun Prix Nobel décerné à des Français membres de l'Académie des sciences jusqu'en 1930? Les Académies contemporaines, l'American Academy of Science par exemple, vivent-elles toutes dans le dénuement? Elle fait l'éloge de l'ICSU, mais cette organisation rend-elle au Québec les services qu'on peut espérer d'une Académie québécoise?

On remarque la rareté des scientifiques s'étant exprimés ce sujet. Une explication : académie = nationalisme; or nationalisme = langue française; or subventions = langue anglaise; donc, le silence est d'or.

Merci donc à tous les participants.

Cette rencontre n'a pas suffi à créer un consensus; la question, du moins, se trouve posée mais elle ne peut pas rester sans réponse. Il faut se dire à bientôt. À la prochaine.



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Réunion du conseil de la LISULF le 26 octobre 2002

Louis de Kinder, secrétaire

Présences: Cauchy, Charlebois, De Kinder, Demers, Pilote, Paul Rémillard, Sauvé.

1 M. Demers: parle d'une réunion de la LISULF le 26 septembre à Paris.

2 La LISULF a fermé ses comptes au Crédit Lyonnais ainsi qu'aux Natexis Banques Populaires de Paris. Nous négocions tous les chèques européens dorénavant à Montréal.



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Assemblée générale 2002, 2e partie et

Colloque le 26 octobre 2002

Faut-il créer une Académie des sciences au Québec?

Louis de Kinder, Secrétaire

Présents : Venant Cauchy, Pierre Charlebois, Louis de Kinder, Pierre Demers, Pierre Gendron, Yves Gingras, Gordon Lefebvre, Christian Pilote, Jean Rémillard, Paul Rémillard, Camille Sandorfy. René-Marcel Sauvé et Brigitte Schroeder-Gudehus. Excusés : Claude G. Charron, Pierre de Bellefeuille, Germain Godbout, Camille Limoges. Guy Rocher,

M. Cauchy: Mentionne l'existence d'une académie des sciences en Chine

Allusion à certain article dans le Devoir signé par Gendron, de Belllefeuille....

Mme Schroeder: Déclin des académies depuis le 18e siècle. La recherche se fait hors des Académies.

M. Demers: À propos de la langue française.

M. Sandorfy: (De la Soc. Royale du Canada) voir texte dans S & F. Ajoute qu'une académie serait peut-être utile dans un Québec .

M. Gendron: Certains pays ont plusieurs académies ; e. g. la Bavière. Pour établir une politique scientifique au Québec, il manque un organisme pour représenter les scientifiques.

M. Gingras: Une académie sera plutôt autocratique; par contre, le prestige ne se décrète pas, mais s'impose par son action. L'ACFAS est démocratique, a peu d'influence. Le nationalisme sera la seule justification pour une académie.

M. Gendron: L'académie aura le poids et le prestige de l'État. Son fonctionement devra se faire par les pairs.

M. Gingras; Le danger de l'influence de l'État: Le gouverneur général du Canada a demandé à M. Dawson, le plus prestigieux chercheur au Canada, de créer la Société Royale.

Mme Schroeder: Aucun académicien français n'a gagné le prix Nobel.

M. Sandorfy: Donne raison à M. Gendron: il faut que l'académie soit nationale, il faut le prestige de l'État pour attirer les membres, l'état doit veiller à leur choix. La question serait: pouvons-nous nous passer d'une académie? Sommes-nous satisfaits de la situation du français dans les sciences?

M. Rémillard: La Société Royale, ou une académie au Québec seraient-ils efficaces ou utiles?

M. Sandorfy: Exemples d'académies efficaces: en Hongrie, en Tchéquie, en Pologne. Même la Société Royale n'est pas mauvaise.

M. Gendron: MM. Gilles Fontaine, Camille Limoges (sous-ministre), et Monière-Schroeder pensaient qu'une académie serait une bonne chose

M. Gingras: C'est le ministre qui décide, pas l'académie. Cependant celle-ci renseigne le ministre.

M. Sandorfy: Voilà la raison pour une académie.

M. Sauvé: Donc c'est politique.

M. Lefebvre: On a fait un sondage où 80% des répondants ont dit oui que la culture était une marchandise (comme d'autres). Il estime que les scientifiques sont inconscients de l'aspect social des sciences, et qu'une académie est nécessaire pour la nation.

M. Pilote: (Enseignant pendant 35 ans) fait appel aux bénévoles pour promouvoir des activités scientifiques chez les jeunes.

M. Gendron: L'ACFAS lance un colloque. Fait-il allusion à la page 22 de la revue Découvrir décembre 2002?

M. Lefebvre: La culture scientifique est défaillante partout, suite à un manque de promotion. Avec les actions de G.W.Bush, les gens assimilent les sciences avec le militaire.

M. Gendron: Le journal McGill Daily déplore l'insuffisance de membres dans la Société Royale.

M. Demers : (Membre de la Société Royale) dit que seulement un membre sur dix est francophone.

M. Sauvé: Trouve que le français est une langue singulièrement appropriée pour exprimer les sciences.

M. Gendron: On impose la langue allemande en mathématiques et en philosophie

De 14 à 17 h. Christian Pilote a saisi un vidéo des premières 90 minutes.

 



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Le Québec, a-t-il besoin d'une Académie des sciences ?

Quelques réserves.

Brigitte Schroeder-Gudehus

Texte présenté lors du colloque de la LISULF le 26 octobre 2002.

Le projet présenté par des membres du Cercle Godin-Miron dans Le Devoir du 31 octobre 2001 ne peut que surprendre. Il soulève plusieurs problèmes dont il convient d'emblée de discuter séparément. Nous distinguons ainsi entre la volonté politique de créer une Académie québécoise des sciences et l'argumentaire présenté à l'appui. C'est ce dernier, et plus précisément les références historiques qu'il mobilise, qui nous inspirent de sérieuses réserves. Mettant en parenthèses le débat sur l'opportunité politique d'une telle institution, nous nous limiterons donc à l'examen critique de cet aspect. Il faudrait d'ailleurs se demander, à notre avis, si l'histoire des académies des sciences et de leur rôle dans le passé et ailleurs, est vraiment pertinente pour évaluer le bien-fondé du projet hic et nunc. Mais comme elle fait partie de l'argumentation, il vaut mieux qu'elle contribue à ce que celle-ci tienne la route.

Il est certes périlleux de vouloir parler d e s académies des sciences dont plusieurs remontent à plus de trois siècles, comme si l'on voulait ignorer les différences existantes entre elles. Si l'on les place cependant vis-à-vis du catalogue de tâches, de fonctions et d'effets dont elles sont créditées par les auteurs de l'article, il est quand même possible de présenter quelques observations générales.

La promotion de la recherche, la détermination des priorités, l'obtention de ressources financières, la contribution à la reconnaissance et au respect de la science et de ceux qui la pratiquent, à la construction d'une identité de communauté scientifique nationale et au prestige national – il est certain qu'à leurs débuts, les académies des sciences répondaient à ces attentes. Mais déjà au 19e siècle, leur rôle décline dans tous les domaines évoqués (à quelques exceptions près, comme la National Academy of Sciences qui n'est fondée qu'en 1863).

Les raison en sont multiples : les progrès foudroyants des connaissances, leur accumulation et leur différenciation disciplinaire, l'essor des universités, les rapports de plus en plus étroits entre recherche scientifique et technique, la multiplication de laboratoires créés par les services publics à caractère scientifique et, bientôt, par des industries et, comme corollaire, la croissance rapide du nombre de scientifiques ... Le fait que le nombre de sociétés savantes et, surtout, de congrès scientifiques nationaux et internationaux connaissait une croissance exponentielle au cours de la seconde moitié du siècle, démontre qu'ils répondaient mieux aux besoins des communautés scientifiques que les académies, peu adaptées aux changements rapides des connaissances.

En d'autres termes : l'essentiel des développements scientifiques passait à côté des académies, même si elles continuaient d'exister. Et c'est dans les sociétés savantes et les les grands congrès internationaux plutôt que par l'intermédiaire des académies que se construisait une identité, "universelle", du scientifique.

La menace d'une marginalisation n'avait pas échappé aux académies. Au début du 19e siècle déjà, Joseph Banks – alors à la tête de la Royal Society de Londres – s'était plaint de ce que les sociétés savantes allaient lui enlever ses domaines d'activité jusqu'à la dépouiller entièrement.... En France, en Allemagne, ce que l'on pourrait appeler une "politique des sciences avant la lettre", se développait à l'intérieur de services publics, des ministères, bientôt dans le cadre d'institutions de recherche d'un nouveau genre comme les Instituts Carnegie aux États-Unis ou la Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft (la Max Planck d'aujourd'hui) en Allemagne.

Les académies essayèrent en vain de récupérer leur influence (dont le recul affectait aussi les perspectives de financement). Même s'il ne faut pas exagérer la rigueur des frontières entre les divers milieux scientifiques et reconnaître, par exemple, que d'éminents savants étaient actifs aussi bien dans l'université, la recherche extra-universitaire, les sociétés savantes, les congrès e t leur académie, les efforts des académies pour conserver influence, accès aux moyens financiers et – prestige sont bien documentés. Ils ne sont nulle part aussi évidents que dans l'épisode de l'Association internationale des Académies (AIA), c'est pourquoi nous la mentionnons à titre d'exemple.

L'Association fut fondée en 1899 par les Académies importantes d'Europe et la National Academy of Sciences américaine. Son but principal était de récupérer le terrain que les associations scientifiques, et notamment les congrès internationaux, étaient en train d'occuper sur le plan international. Nous trouvons de nombreux textes où cet objectif est clairement exprimé, jusqu'aux pressions explicites auprès des gouvernements afin que les académies soient investies d'une autorité leur permettant de contrôler et, le cas échéant, d'empêcher la création d'associations scientifiques internationales et l'organisation de congrès.

Ces efforts ne furent pas couronnés de succès, ni avant la Première Guerre mon-diale, ni après. Au sein de l'organisme successeur de l'AIA, le Conseil international de recherche créé en 1919, les académies avaient dû accepter la présence des "Unions scientifiques internationales" disciplinaires, issues généralement des congrès de l'avant-guerre. Une nouvelle réforme au début des années trente aboutira au "Conseil international des unions scientifiques" qui existe toujours : la "science internationale" n'a plus besoin des académies.

En résumé : depuis les débuts du 19e siècle, les académies se sont trouvées en perte de vitesse. Malgré une rhétorique persistante affirmant leur représentativité officielle, elles ont souvent perdu celle-là aussi au profit d'institutions comme le CNRS ou la Société Max Planck. Quoi qu'il en soit, les tâches, les fonctions et les influences que, précisément, les membres du Cercle Miron-Godin voudraient voir assumées et exercées par une éventuelle Académie québécoise des Sciences, ont depuis longtemps échappé à la plupart des académies des sciences d'autres pays. D'autres responsabilités n'ont jamais relevé de leur autorité : indépendamment du fait qu'elles n'ont jamais été "démocratiques", aucune ne constituait le "couronnement du réseau universitaire" ni pouvait – ou voulait – prétendre "représenter la composante scientifique de la société". Il faut ainsi se demander s'il n'est pas contre-productif de justifier le projet d'une Académie québécoise des Sciences en s'appuyant sur des modèles qui, à force d'y regarder de plus près, risquent de se révéler plutôt décourageants.

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(Donc), j'ai quelques réserves, mais pour bien les situer, j'aimerais distinguer deux aspects de la discussion. Il y a d'abord le projet de créer une Académie des sciences québécoise en tant que volonté politique de le faire, et puis, il y a l'argumentaire.

Dans cet argumentaire, on se réfère souvent à des académies ailleurs : ailleurs dans le temps, c'est à dire, à l'histoire des académies, et ailleurs dans l'espace, c'est à dire, à des académies dans d'autres pays. Et ce sont ces références, notamment dans le texte paru dans le Devoir du 31 octobre de l'année dernière, qui m'ont fait sursauter.

Premièrement, je ne pense pas que cela soit vraiment très pertinent de citer en témoins à l'appui, aussi lourdement, des exemples d'autres époques et d'autres pays. Mais si l'on décide de le faire, il vaudrait mieux que la démonstration tienne la route.

J'oublie les détails, mais il me semble important de dissiper quelques malentendus majeurs.

Il est souvent fait allusion, dans ce texte, et dans d'autres, au rôle des académies dans l'encouragement de la recherche et l'établissement de ses priorités, dans l'obtention, pour la science, d'une reconnaissance publique, donc de respect, de ressources financières; rôle aussi dans la naissance d'une identité d'une communauté scientifique, et une contribution à l'identité nationale; rôle de représentation de cette communauté vis-à-vis de l'intérieur et de l'extérieur. Il est surtout, souvent, question du prestige dont jouissent les académies et du prestige qu'elles confèrent à la science, aux scientifiques, et aux pays.

Or ce qui caractérise l'histoire des académies, de l'institution, est un déclin constant sur presque tous ces plans depuis les débuts du 19e siècle.

Les raisons en sont bien connues, à savoir notamment les progrès vertigineux des connaissances scientifiques, la différenciation des savoirs, l'accélération des applications, l'accroissement des communications etc. Tout cela entraîne des transformations institutionnelles. Le développement scientifique passe de plus en plus à côté des académies : il est porté par les universités et des institutions d'État et leurs laboratoires, par des sociétés scientifiques disciplinaires, de plus en plus spécialisées qui répondent infiniment mieux à ses besoins que les académies. C'est là que les choses se passent.

Et même si le discours des académies demeure inchangé, on se rend compte de la menace : Joseph Banks, alors à la tête de la Royal Society, s'inquiète déjà au cours de la première décennie du 19e s. et prévoit que les sociétés savantes spécialisées vont finir par dépouiller son institution de ses champs d'activité, donc de son autorité. Les choses ne se passent évidemment pas de la même manière dans tous les pays, le rôle des universités diffère, bien entendu. Mais à la fin du siècle, la compétition entre académies, universités, institutions liées aux administrations techniques, sociétés savantes etc. s'est décidée au dépens des académies.

Un seul exemple pour l'illustrer :

En 1899, est fondé l'AIA. Il s'agit d'une mesure défensive avec le but de récupérer le terrain perdu sur le plan international aux associations scientifiques internationales et notamment à leur congrès. Ces congrès contribuent entre temps beaucoup plus que les académies à créer une "identité du scientifique", et c'est dans les congrès que se déploie la compétition entre sciences nationales. Là, dans les sociétés et les congrès, se trouvent des jeunes. Les académiciens sont généralement vieux. Encore au cours des années 1960, la moyenne d'âge des membres de l'Académie des sciences de Paris était 70 ou 73 ans.

L'objectif de la compétition : influence et argent. Car on constatait que beaucoup de ressources passaient dans des entreprises scientifiques qui se développaient en dehors des académies. Alors, les académies entreprennent des efforts pour amener leurs gouvernements à leur confier une sorte de contrôle sur la création d'association scientifiques internationales et sur les activités de celles qui existent déjà. Contrôle sur les fonds accordés... Et cet objectif, on l'exprime.

Les académies ne l'obtiennent pas, ce contrôle. Elles devront même, à l'intérieur de leur propre organisation internationale, finir par devoir donner une place aux associations disciplinaires : Quand, en 1919, l'AIA est remplacée par le Conseil international de recherches, celui-ci comprend non seulement les académies, mais aussi les "Unions internationales", c'est-à-dire les grandes associations internationales disciplinaires. Et puis, en 1931, nouvelle réforme, qui aboutit au "Conseil international des Unions scientifiques", ce sont les unions qui on remporté la victoire, pas les académies.

En d'autres termes, et pour revenir au rôle, aux tâches que les auteurs du texte voudraient voir confier à une Académie des sciences québécoise, ce rôle et ces tâches n'ont pu être conservés par les académies traditionnelles n'en ont conservé que très peu, et encore rarement sans partage et sans contestation.

Le texte envisage une Académie des sciences québécoise comme "un couronnement du réseau des établissements universitaires" et lui attribue un rôle de "représentation de l'ensemble de la composante scientifique de la société" – mais cela ne se décrète pas. Quand je pense au fait qu'aucune des académies traditionnelles ne peut prétendre occuper de telles positions, je m'interroge sur les chances du projet.

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(?) à la situation actuelle, et la situation ici, et d'autres qui évoquent des exemples historiques, ou des exemples d'autres lieux.

Et ce sont ces derniers, les évocations de l'histoire des académies et d'académies dans d'autres pays, qui m'ont fait sursauter, et je voudrais limiter mes réserves à la pertinence de ces arguments-là, et notamment à ceux qui nous ont été présentés dans l'article du 31 octobre 2001.

J'annonce par ailleurs mes réserves à un double titre: je pense, d'abord, que cette évocation de l'histoire des académies et de leur rôle dans le passé n'est pas vraiment pertinent pour la discussion. Mais, si l'on veut amener cette argumentation, il vaudrait mieux qu'elle tienne la route. Et cela n'est vraiment pas le cas.

Il est périlleux de décrire "les" académies dans leur ensemble et de donner l'impression que les tâches, rôles, significations énumérés pêle-mêle s'appliquent à toutes quand, en fait, elles différaient de l'une à l'autre. Par exemple, dans l'idéologie scientifique qui déterminait leur rapport avec la spécialisation ou la professionalisation, ou leurs rapports avec universités, les mécènes, ou l'État.

C'étaient évidemment des organismes élitaires, mais ils n'ont certainement jamais été "démocratiques". Quant à la détermination des priorités de recherche – ce n'était déjà plus le cas au 19e siècle.

Mais, au lieu d'épingler ces problèmes de détail, je préfère poser la question sui-vante : est-ce que l'histoire des académies nationales, leur développement au 19e et 20e siècle sont des terrains propices pour meubler un argumentaire en faveur de la création d'un Académie des sciences québécoise ? Et ma réponse est nette, et NON.

Dans le développement scientifique, le rôle des Académies des sciences a constamment diminué depuis le début du 19e siècle.

C'est l'essor des universités, la spécialisation des connaissances, leur fragmentation, la naissance des disciplines et la croissance rapide d'une population de scientifiques – qui ont déplacé l'essentiel des développements scientifiques vers les laboratoires, universitaires ou d'État, vers les sociétés savantes et leurs congrès. Et ceci d'autant plus qu'en règle générale les Académies n'avaient pas des activités de recherche, si ce n'est de façon indirecte, par des instituts rattachés...

Cette évolution et la menace qu'elle faisait peser sur le rôle et la puissance des académies a été notée très tôt. En Angleterre dès la première décennie du 19e s., Joseph Banks s'est lamenté que les sociétés savantes allaient enlever à la Royal Society des domaines d'activité jusqu'à la dépouiller.... En Allemagne, et en France, les Académies voyaient l'influence grandissante des sociétés scientifiques ou instituts de recherche sur ces politiques scientifiques avant la lettre qui évoluaient dans ou en marge des ministères fonctionnels, et, surtout, leur mainmise sur les relations scientifiques internationales.

Je donne comme seul exemple la création de l'Association internationale des Académies qui fut créée en 1899, et dont le but principal était de recupérer le terrain, au profit des Académies, que les associations scientifiques et notamment leurs congrès étaient en train d'occuper sur le plan international.

Et c'était une stratégie qui était conçue comme une partie importante de l'effort de récupérer aussi, par ricochet, le terrain perdu sur le plan interne. Terrain : cela voulait dire : de l'argent et de l'influence.

Et nous trouvons des textes où cela est clairement exprimé : on entreprend des démarches pour amener les gouvernements d'accorder aux Académies pourraient être investies, par les gouvernements, d'un pouvoir de contrôle sur la création d'associations scientifiques internationales et, surtout, l'organisation de congrès internationaux.

En d'autres termes : les Académies se battent désespérément pour conserver influence, moyens financiers – et prestige. Ce sont les congrès scientifiques entre temps qui contribuent beaucoup plus que les académies à créer une "identité du scientifique", car les académies continuent de réunir un nombre relativement peu élevé de scientifiques, et surtout des vieux. Jusqu'au milieu des années 1960, l'âge moyen des membres de l'Académie des sciences de Paris était de 70 ou 73 ans. Et quant à l'éminence des membres de cette Académie-là : jusqu'à la fin des années trente, aucun des prix Nobel français n'avait été membre de l'AdS (Joliot n'est devenu membre qu'au début des années 40).

Pour revenir à la tension entre académies et associations scientifiques disciplinaires : les Académies étaient en perte de vitesse. L'ancienne AIA ne survit pas à la Première guerre mondiale, et la nouvelle organisation internationale, le Conseil international de recherche, n'est pas uniquement constitué par des Académies ou Conseils nationaux de recherche : les Académies sont désormais flanquées par une autre catégorie de membres : les unions internationales, c'est-à-dire, unions disciplinaires. Puis, en 1931, se crée l'organisation qui existe encore aujourd'hui : L'ICSU – conseil international des unions scientifiques, -- parties, les académies....

Fig. 81.1. Colloque LISULF du 26 octobre 2002. Louis de Kinder, Pierre Charlebois, Yves Gingras et Brigitte Schroeder-Gudehus.

En d'autres termes : depuis longtemps, les académies n'ont plus le vent en poupe. Elles conservent, bien sûr, la rhétorique selon laquelle elles représentent le génie de la nation etc., mais sur le plan scientifique, politique et recherche, elles ont depuis longtemps perdu leur importance, au profit d'institutions comme le CNRS, la Société Max Planck (qui existe depuis 1911). Sur le plan individuel, devenir membre d'une Académie des sciences constitue toujours une récompense, mais sur le plan national, de la représentation scientifique nationale, on regarde généralement ailleurs.

Il faut dire aussi que le prestige d'une Académie est d'autant plus grand qu'elle peut s'enorgueillir d'une longue tradition. Des fondations récentes ont rarement eu la cote, même si les gens ont été assez bien élevés en général pour exprimer leur condescendance uniquement dans les lettres privées.... (cf. Heidelberg, ou des pays comme la Finlande, le Maroc, l'Égypte).

 



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Abraham Lincoln et les National Academies.

Pierre Demers

Fig. 81.2. Abraham Lincoln et les National Academies. 1863, 1922. Tableau de Albert Herter.

Ce tableau du peintre Albert Herter a été réalisé à l'occasion de l'inauguration de l'édifice de la National Academy of Sciences des États-Unis en 1922. Il dépeint une scène apocryphe : la signature de la charte de l'académie par le Président Abraham Lincoln, le 3 mars 1863. Il est accroché dans la salle du Conseil de cette Académie à Washington.

Il est confirmé que le présidenr Lincoln a signé la charte, mais la présence à ses côtés des personnes suivantes paraît être oeuvre d'imagination. De gauche à droite : les membres fondateurs Benjamin Peirce, Alexandre Dallas Bache qui fut le 1er président de l'Académie, Joseph Henry, Louis Agassiz, Abraham Lincoln, puis le sénateur Henry Wilson, parrain du projet de la charte, l'Amiral Charles Henry Davis et Benjamin Apthorp Gould.

"Advisers to the nation..."

Cette Académie conseille la Nation américaine en sciences, génie et médecine. Elle comprend une Académie nationale des sciences, une Académie nationale de génie, un Institut de médecine, un Conseil national de recherche et un organisme éditeur National Academies Press electronic Publications.

Son Académie nationale des sciences compte 2347 membres. L'élection à cette Académie "constitue l'un des plus grand honneurs" que peut recevoir un scientifique (one of the highest honors that can be accorded a scientist or engineer).

Elle publie 200 livres par année, sensiblement un par jour ouvrable. Elle offre 2500 livres gratuitement sur internet. Un exemple en chimie : Établir la valeur de la recherche en sciences chimiques, 140 pp. 1998 (Assessing the Value of Research in the Chemical Sciences) Elle a une collection sur le bioterrorisme.

http://www.nationalacademies.org/

http://www.nationalacademies.org/annualreport/

Elle a géré en 2002 un budget composé ainsi : 180.962.841 $EU de source fédérale et 51.710.306 $EU de source autre, total 232.673.147 $EU

Elle mérite assurément le qualificatif de société patriotique, entièrement dévouée aux intérêts de la nation américaine, et travaillant de concert avec l'armée, la marine, l'agence spatiale, les agences éducatives.

Du point de vue des fins de la LISULF, son action n'a aucun rôle utile. Elle ajoute au poids de la langue anglaise et de l'hégémonie anglo-saxonne dans le monde. Aucune de ses initiatives n'est favorable à la diversité culturelle. Rien dans son idéologie ne marque une sympathie envers les idéaux du Québec. La langue française en science, l'indépendance du Québec et le progrès politique de la Francophonie, la prospérité des pays autres que les États-Unis n'ont rien à espérer de son activité. Elle se conforme à sa charte : la Science au service de la Nation américaine.

En revanche, son intention patriotique élevée donne une excellente leçon aux Québécois : pratiquer une réflexion scientifique constamment orientée vers les intérêts supérieurs de la nation. On se prend à rêver d'une organisation comparable vouée exclusivement aux intérêts de la Nation québécoise, de son bien-être, de sa prospérité, de ses forces armées, de la langue française. Rêve évidemment, surtout quant aux forces armées, dont le défilé, lors de notre fête nationale, est remplacé par des spectacles internationaux de jazz et de Juste pour rire. Et puis, il se trouve des moralistes et des fédéralistes pour condamner l'idée même d'un nationalisme québécois. La grande Nation américaine, la Nation française, la Nation Israëlienne oui, elles ont le droit à l'existence. On leur accorde qu'elles imposent le respect, soit le bon ordre, elles le méritent, puisqu'elles ont des forces armées. Au Québec, proposer des changements politiques par l'usage de la force est illégal.

Perpétuer la soumission envers l'usage de la langue anglaise en sciences ne conduira certes pas à de tels changements.



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Quelques Prix Nobel scientifiques français

Pierre Demers

Prix Nobel en sciences depuis le début. De France (et quelques autres).

Prix Nobel avant 1930.

Le premier Nobel de physique fut décerné à Roentgen en 1901, le 2e à Zeeman et Lorentz en 1902, le 3e, à Becquerel en 1903.

Becquerel, Lippmann et Perrin ont reçu des Prix Nobel de physique étant Académiciens de l'Académie des sciences de Paris.

Marie Curie, Grignard, Sabatier, Richet, Nicolle, Louis de Broglie ont reçu des Prix Nobel et sont devenus Académiciens dans la suite : Marie Curie et Nicolle de l'Académie de Médecine de France; Grignard, Sabatier et de Broglie de l'Académie des sciences de Paris; Richet, des deux Académies.

1903 PHYSIQUE Ac. Méd. 1922

Curie (Marie) France

1903 PHYSIQUE Ac. Sc. 1889

Becquerel (Antoine Henri) France

1903 PHYSIQUE

Curie (Pierre) France

1906 CHIMIE

Moissan (Henri) France

1908 PHYSIQUE Acad. Sc. 1883

Lippmann (Gabriel) France

1911 CHIMIE Ac. Méd. 1922

Curie (Marie) France

1912 CHIMIE Ac. Sc. 1926

Grignard (Victor) France

1912 CHIMIE Ac. Sc.

Sabatier (Paul) France

1912 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Carrel (Alexis) France États-Unis

1913 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE Ac. Sc. (et Méd.)

Richet (Charles Robert) France

1919 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Bordet (Jules) Belgique

1920 PHYSIQUE

Guillaume (Charles Édouard) Suisse France

1926 PHYSIQUE Ac. Sc. 1923

Perrin (Jean Baptiste) France

1928 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE Ac. Sc. 1929

Nicolle (Charles Jules Henri) France

1929 PHYSIQUE Acad. Sc. 1933

de Broglie (Louis V.)France

Prix Nobel depuis 1930.

1935 CHIMIE Ac. Sc 1944, Ac. Méd. 1943

Joliot-Curie (Frédéric) France

1935 CHIMIE

Joliot-Curie (Irène) France

1949 CHIMIE

Giauque (William Francis) Franco ontarien États-Unis

1956 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Cournand (André Frédéric) France États-Unis

1965 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Monod (Jacques) France

1965 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Lwoff (André) France

1965 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE Ac. Sc. 1976

Jacob (François) France

1966 PHYSIQUE Ac. Sc. 1964

Kastler (Alfred) France, LISULF

1970 PHYSIQUE Ac. Sc.1953

Néel (Louis) France, LISULF

1971 CHIMIE

Herzberg (Gerhard) Canada ROC

1974 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Duve (Christian René de) Belgique

1974 MÉDECINE ou PHYSIOLOGIE

Claude (Albert) Belgique

1977 CHIMIE

Prigogine† (Ilya) Belgique

1977 MÉDECINEou PHYSIOLOGIE

Guillemin (Roger) France États-Unis

1987 CHIMIE Ac. Sc. 1985

Lehn (Jean-Marie) France

1992 PHYSIQUE Ac. Sc 1985

Charpak (Georges) France

1997 CHIMIE

Boyer (Paul) France

1997 PHYSIQUE Ac. Sc. 1981

Cohen-Tannoudji (Claude) France

http://www.nobel.se/physics/laureates%0D/1908/lippmann-bio.html

http://almaz.com/nobel/

http://sibille.free.fr/rubriques_diverses/prix_nobel/nobel.htm



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Une Académie des sciences

Louis de Kinder

M. Rémillard s'interrogeait sur l'utilité d'une académie. Tout dépend de ce qu'on veut en tirer. Le gouvernement canadien se fie à la Société Royale, et sur le Conference Board pour se faire une politique globale. Si cela devient une récompense pour un travail bien fait, je comprends l'inquiétude de M. Rémillard.

L'Académie nationale des sciences américaine a vu le jour pendant la guerre civile. Il est évident que l'objectif visé était d'assurer la suprématie technique du gouvernement, de l'union et défaire les confédérés

Car les politiciens qui deviennent ministres, sont avant tout des spécialistes dans l'art de se faire élire. Et le chef du gouvernement est là pour le leur rappeler. Qui donc va penser aux questions économiques sur lesquelles repose le gagne-pain de la population?

Au Québec, qui va s'assurer de la survie de notre identité? On s'en inquiète sans confier le problème à personne. Une académie non pas de génie, mais de génies est toute indiquée. Il ne reste qu'à trouver un moyen d'identifier ces génies.

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... est survenue la question: qu'entendons-nous par ce mot, académie?

L'Académie française a débuté comme un instrument pour stimuler la création. Avec les siècles elle est devenue une récompense, un ciel pour les immortels.

Le centre de l'univers qu'est la république américaine, s'est créé une académie pour grouper des savants capables de contribuer à sa puissance.

Le Canada en possède une pour contribuer à son affirmation dans le concert des nations.

Et le Québec, qui n'a pas de gouvernement digne de ce nom? Il est inévitable que cette expression géographique en quête d'une identité laisse à l'initiative des particuliers la formation d'une instrument qui cherchera le moyen de l'identifier.

Donc, ce n'est pas ce prétendu gouvernement qui saura y contribuer. Ce sera cet organisme, né spontanément, qui ouvrira le chemin à l'épanouissement du peuple.

La tribune est ouverte, à tous ceux qui se sentent une vocation messianique.

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Science et Francophonie No 81

Ce No, daté de janvier 2003, paraît en juillet 2003.

Fin

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