La question des moyens d'action de la LISULF

Ce texte fait suite à un autre portant sur les objectifs de la LISULF. Une fois qu'on a résolu la question des objectifs, il reste à déterminer les moyens à mettre en oeuvre. Depuis 1980, la Ligue a utilisé un répertoire assez facile à décrire.

Le premier moyen d'action a été d'analyser la situation, notamment lors de rencontres en personne et de publier des textes décrivant la situation de prévalence croissante de l'anglais en science et les mécanismes dont elle procède. La suite logique était de tenir des rencontres plus larges, notamment en marge des rencontres de l'ACFAS. Il s'agissait surtout de de sensibiliser le plus grand nombre possible de personnes impliquées dans les milieux de la science ou dans les instances publiques, étant entendu que c'est dans ces milieux que les décisions pertinentes se prennent. Au Québec, le Parti Québécois était alors au pouvoir et avait en son sein bon nombre d'universitaires dont plusieurs étaient sympathiques ou même membres de la LISULF.

Rapidement, cette démarche se transforme en une intervention directe auprès des autorités pour réclamer, notamment, des modifications aux politiques publiques en faveur de la publication en français. Le Projet DDA (que je décris dans mon texte précédent) en est le premier et meilleur exemple. Il s'agit d'un ensemble de renvendications que la LISULF enjoint tous les gouvernements de pays même partiellement francophone de mettre en oeuvre.

Pendant un certain temps, la LISULF a exercé ses efforts pour faire valoir ce manifeste directement auprès des décideurs. Mais malgré la création de l'ANSULF en France et probablement en bonne partie à cause de la défaite en 1985 du Parti Québécois au profit d'un parti nettement moins intéressé à défendre le français, la LISULF a perdu beaucoup de ses entrées dans les milieux du pouvoirs. Malgré tout, en continuité avec ce qui précède, elle s'est graduellement concentrée sur trois axes:

  1. La constitution et le maintien d'un réseau de personnes convaincues quant à la cause du français en science, souvent des scientifiques eux-mêmes. Cela rappel les rencontres des premières heures mais les communications portaient de plus en plus sur la dénonciation de l'inaction ou de l'action rétrograde d'acteurs socio-politiques quant au français et sur les actions à prendre pour les sensibiliser.
  2. La publication de la revue LISULF, rapidement rebaptisée Science et Francophonie avec des collaborateurs réguliers du Québec et d'Europe et d'autres collaborateurs occasionnels. Cette revue est une des moyens de communication servant à entretenir le réseau et porte donc sur les mêmes sujets.
  3. Des interventions surtout épistolaires auprès des diverses autorités, toujours reproduites dans Science et Francophonie et parfois dans les grand journaux.

À partir de 1989, suite à l'épisode de l'Institut Pasteur (voir mon texte précédent), s'ajoute la manifestation annuelle Pasteur Parlait Français qui regroupe souvent moins d'une douzaine de personnes mais qui donne l'occasion d'articles dans Science et Francophonie et qui, avec le temps, suscite l'admiration pour son instigateur dont l'âge approche du vénérable. Pierre Demers aura effectivement participé à ces manifestations jusqu'à l'âge de 101 ans. S'ajoute encore à ce volet d'autres participations à des événements publiques, notamment une grande banderolle LISULF présente lors d'une manifestations pour la langue française à Paris en 2010.

Efficacité et perspectives de succès

À ce jour, la LISULF n'a pas réalisé ses objectifs. Ses deux victoires ont été de faire reculer légèrement l'Institut Pasteur et de conscientiser un grand nombre de scientifiques, convaincant un petit nombre de publier leurs travaux en français et faisant au moins sentir coupable d'autres qui ne le font pas. Avec le recul qu'on peut prendre aujourd'hui, il est facile d'observer que les moyens mis en oeuvre par la Ligue ne nous on pas mis sur la trajectoire d'un succès inéluctable. D'une certaine façon, on peut décrire la stratégie dont nous héritons aujourd'hui comme le maintien d'un noyau de militants prêts à intervenir lorsque des événements politiques majeurs, notamment l'éventuelle indépendance du Québec, nous offriront à nouveau un terreau fertile, similaire à celui du Québec entre 1979 et 1985.

Le 21e siècle

Le 21 siècle est maintenant vieux de 17 ans. Il déjà vu une transformation massive des communications avec la prévalence des moyens électroniques véhiculés par l'internet. On parle de réseaux "sociaux" qui sont en fait bien plus électroniques qu'autre chose. Presque tout le monde a accès à des outils de traduction instantannée de qualité toujours grandissante. L'anglais continue de s'imposer comme ligua franca mais d'autres langues, notamment le mandarin, le hindi, le russe et l'arabe semblent se tailler des places non-négligeables. Les revues scientifiques sont toutes en lignes mais celles qui ont assuré l'hégémonie de l'anglais restent inaccessible au grand public et continuent d'exiger des abonnements à prix prohibitifs. Pendant ce temps, la création de nouveaux moteurs de recherches, de nouvelles bases de données et d'applications en ligne est de plus en plus accessible.

Qu'est-ce que cela représente pour la LISULF et la promotion du français en science?

Je propose ici que cette question est bien plus importante qu'elle ne le semble. Le nombre effarant d'utilisateurs d'internet et l'instantanéité des communications qui y transitent en font une pépinière d'effets auto-renforçants qui se nourrissent de masses critiques. Leur potentiel transformateur est susceptible d'avoir plus de poids que les gouvernements ou leurs politiques nationales. On dit que le printemps arabe, qui a fait tomber plusieurs chefs d'états, a été rendu possible par les communications cellulaires leur accès à l'internet.

Il est possible que le pouvoir des effets auto-renforçants rendus possibles par l'internet soit plus pertinent pour la cause du français en science que toutes les politiques. Je dis bien que c'est possible. Ce n'est pas nécessairement le cas. Ce constat mène naturellement à penser que la LISULF aurait un rôle à jouer dans l'analyse de cette situation, nous ramenant au premier moyen d'action qu'elle a mis en oeuvre. Il s'agit pas tellement d'analyser la place du français dans les publications scientifiques, qui ne s'est que dégradé au fil des ans. Il s'agit d'analyser l'état des moyens de communication pour identifier d'éventuels leviers que la LISULF pourrait envisager d'activer avec des partenaires.

Si j'avais à deviner, je dirais que cette analyse révélera comme réalistes des moyens d'intervention qu'on n'aurait pas pu imaginer il y a 20 ans. Par exemple, s'il s'agit de créer une base de données de référence à des textes scientifiques en français (tel que le projet DDA le demandait), on peut aujourd'hui envisager de le faire car les moyens techniques pour le faire sont à la portée de tous et l'internet offre le canal de diffusion mondial pour ainsi dire gratuitement. En fait, il existe plusieurs projets d'index scientifiques de ce type que la LISULF pourrait soutenir. S'il s'agit de créer une revue scientifique internationale en français, même chose: les moyens techniques et le canal de diffusion sont simplement disponibles. Là aussi, il en existe déjà un grand nombre, ainsi que des catalogues en ligne de revues en ligne. Avec autant d'éléments cherchant à véhiculer la science en français, il ne manque peut-être seulement qu'une étincelle pour atteindre une masse critique et produire un effet de réseau susceptible de changer les choses.

La prochaine étape

Je ne sais pas si la LISULF existera encore dans quelques mois. Mais que ce soit le cas ou non, la prochaine chose que les militants pour le français en science devraient envisager est un état des lieux non seulement pour les institutions de communication scientifique mais également sur l'état des communications en général afin de déterminer dans quelle mesure des démarches indépendantes des gouvernements sont susceptibles de porter fruits.

Thierry Leroux-Demers
Président de la LISULF
Le 18 mai 2017